Protéger l’héritage d’une personne vulnérable - Chroniques | Fédération des coopératives funéraires du Québec

Protéger l’héritage d’une personne vulnérable

Apprendre que son enfant est « différent », qu’il a un handicap, une déficience, un trouble du spectre de l’autisme et qu’il aura donc des besoins particuliers constitue un choc pour les parents. La plupart souhaitent un bel avenir pour leur enfant, mais, dans un tel cas, l’avenir peut rapidement devenir une source d’inquiétude et de stress. 

  • Qu’arrivera-t-il à mon décès?

  • Qui gérera l’argent de mon enfant?

  • Pourra-t-il toujours bénéficier des services gouvernementaux?

  • Où vivra-t-il? Qui veillera sur lui?

En tant que parent d’un enfant différent, il est primordial que votre testament soit bien adapté à votre réalité et vos volontés. Juridiquement, des règles doivent être respectées afin que votre enfant et les actifs éventuels soient protégés. 

Une façon de protéger l’héritage d’une personne vulnérable sera d’établir pour elle une fiducie testamentaire. Ainsi, au lieu de lui léguer ses biens et son argent directement, on le fera par l’entremise de la fiducie. Plusieurs raisons peuvent motiver ce choix, mais elles ont toutes un dénominateur commun : l’héritier n’est pas en mesure de gérer son héritage et on veut le protéger de lui-même ou d’autres personnes qui pourraient abuser de sa vulnérabilité.

Fiducie testamentaire

Le mot fiducie vient du latin fiducia, ou « confiance ». Les origines de la fiducie remontent au droit romain et elle était utilisée au Moyen Âge par les croisés qui, avant de partir en croisade, remettaient leurs biens à des personnes de confiance, qui les restituaient à leur retour ou les transmettaient à leurs héritiers en cas de mort au combat.  

Pour rester dans le ton, j’aime utiliser l’image d’un château fort pour aider à comprendre la notion de testament fiduciaire. Le parent qui prépare le testament fiduciaire avec le notaire en est le constituant, pour ainsi dire le roi et la reine, celui qui possède un patrimoine et des biens à protéger. Puisque votre enfant ne sera pas en mesure de prendre des décisions importantes à votre décès, la meilleure protection de votre patrimoine devient la fiducie, c’est-à-dire la solide structure du château fort qui permettra à votre enfant de ne manquer de rien.

Tout château fort sans défense demeure vulnérable : c’est le rôle des chevaliers de le protéger. Ces chevaliers sont les fiduciaires que vous aurez choisis pour gérer la fiducie. Ils veilleront, par le biais de celle-ci, au bien-être de votre prince ou princesse, qui est votre bénéficiaire.

À votre décès, l’argent provenant de vos biens sera donc légué à votre enfant, non pas directement dans son compte bancaire, mais dans un autre compte, en fiducie, qui sera géré par le ou les fiduciaires.

Combien de fiduciaires?

Les parents peuvent nommer un ou plusieurs fiduciaires. Cependant, il convient de tenir compte de certains éléments.

  1. Nommer un seul fiduciaire : C’est donner beaucoup de pouvoir à une seule personne, et il faut vraiment avoir une confiance absolue. Elle prendra seule toutes les décisions et effectuera toutes les sorties d’argent ; on aura besoin de sa seule signature sur les chèques émis du compte.

  2. Nommer deux fiduciaires : Les deux fiduciaires peuvent s’épauler, se répartir les tâches et s’entraider. Pour les sorties d’argent, on aura besoin des deux signatures. Le testament devra toutefois prévoir un mécanisme pour dénouer les situations où les deux signataires seraient en désaccord.

  3. Nommer trois fiduciaires : Souvent une voie privilégiée. Les fiduciaires forment un petit comité où chacun a ses forces, ses tâches et son rôle. En proposant que les décisions se prennent à la majorité, on évite les impasses. Pour les sorties de fonds, il faudra deux signatures.

Comme la vie change et qu’il peut y avoir des pertes de lien, il sera très utile de prévoir des remplaçants. Il est également possible dans le testament d’établir que les fiduciaires puissent élire eux-mêmes des remplaçants.

Le choix des fiduciaires 

Le choix des fiduciaires ne se fait pas à la légère. Les parents qui doivent accomplir cette tâche délicate doivent tenir compte de plusieurs facteurs.  

Être âgé de plus de 18 ans. Si vous souhaitez nommer quelqu’un qui n’est pas majeur, soit un autre enfant, une nièce ou une cousine, vous pouvez le faire sous condition que cette personne ait atteint l’âge X. Cette façon de faire est évolutive et permet de ne pas avoir à changer le testament.

Être un résident canadien. Dans le cas d’un fiduciaire qui est non-résident canadien, le contrôle de la fiducie est exercé dans un pays autre que le Canada, ce qui pourrait exiger de payer des impôts dans un autre pays.

Être digne de confiance. Cette personne sera bienveillante et utilisera les sommes en fiducie non pas pour son propre intérêt, mais pour celui de votre enfant. Le fiduciaire ne se substitue pas au tuteur, il gère seulement l’héritage de l’enfant. Mais il a avantage à s’informer régulièrement de l’état de l’enfant et à être au courant de ce qui se passe dans sa vie afin de prendre les meilleures décisions en ce qui le concerne. 

Être responsable. Année après année, cette personne doit être en mesure de s’occuper des aspects légaux, financiers, et comptables de la fiducie. Notez qu’il est tout de même possible de se faire aider par des professionnels (notaire, comptable, fiscaliste, etc.)

Des parents peuvent aussi opter pour un fiduciaire corporatif d’une institution financière.

Et si l’enfant décède?

Dans la majorité des cas, votre enfant ne pourra pas faire de testament. Si votre enfant décède alors qu’il reste de l’argent ou des biens dans sa fiducie, c’est vous qui aurez inscrit dans votre testament vos volontés pour cet argent : vous pouvez choisir de retourner le tout à vos autres enfants, à des membres de la famille, à une fondation, etc.  Bref, c’est vous qui décidez et c’est vous qui gardez le contrôle grâce à la fiducie.

Un guide personnalisé   

Pour compléter la démarche, la rédaction d’un guide pour apprendre à connaître l’enfant est un outil à offrir aux fiduciaires pour leur permettre de mener à bien leur mandat. Ce guide agit un peu comme une carte routière qui mentionne les préférences de l’enfant, ses habitudes, ses limites, sa façon de communiquer, ses traits de caractère, ce qu’il aime faire, les personnes qui sont significatives pour lui, ses besoins particuliers. C’est aussi dans ce document que vous pouvez indiquer ce que vous voulez et ce que vous ne voulez pas pour votre enfant. Il n’y a pas que l’aspect juridique qui est important, l’aspect humain l’est tout autant.

Me Joanie Lalonde-Piecharski
Notaire engagée auprès des familles d’enfants différents

 

Les avantages et les inconvénients de la fiducie

Avantages

  • Un contrôle et un accompagnement de l’enfant sont assurés par les fiduciaires.

  • L’héritage n’est pas géré par la curatelle publique ou par un conseil de tutelle au privé.

  • On n’a pas de rapport à faire au Curateur public.

  • Une structure organisée rassure l’entourage qui sait qu’il existe un plan de gestion concret.

  • L’argent n’est pas transféré directement dans le compte de l’enfant. Il n’y a donc pas d’impact direct sur la solidarité sociale.

  • On peut être certain que l’argent ira à son enfant. Il n’est pas légué à quelqu’un d’autre dans l’espoir que cette personne fera les démarches qui s’imposent.

  • Ce sont les parents qui auront décidé dans leur testament qui sera le ou les bénéficiaires de cet argent au décès de leur enfant.

Inconvénients 

  • Les coûts du testament sont plus élevés.

  • La fiducie doit produire une déclaration de revenus chaque année.

  • La fiducie doit respecter les règles et un certain cadre de fonctionnement.

     

À propos de l’auteure

Maître Joanie Lalonde-Piecharski, privilégie une approche humaine pour guider les familles dans la préparation de l’avenir d’une personne présentant une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme. Elle est également l’auteure du livre Au-delà des dix-huit ans : préparer le passage à l’âge adulte et l’avenir de votre enfant différent.

Pour plus d’information et pour la consulter

Cet article est tiré de la revue Profil.